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>>Journal de projet 10 : M. le Maudit à la lumière de Freud, Le Bon et Kershaw. Il, Nous, Eux

11 décembre 2014
Auteur(e) : 

«  Un cinéaste devrait être une sorte de psychanalyste, lui-même offert à la psychanalyse. Si quelqu’un pouvait connaître nos films et connaître tout de notre cœur, de nos désirs, de ce que nous aimons, de ce que nous haïssons, il pourrait dire pourquoi et comment nous avons fait ce que nous avons fait. »Fritz Lang cité par Alexandra dans sa note de lecture.

Dans un article publié en 1947, Violence biblique, Fritz Lang écrivait : « Peu à peu je me suis persuadé que chaque cerveau possédait en lui-même une inclination au meurtre. Oui, chacun d’entre nous est un tueur en puissance et qui n’aurait besoin que d’un déclic mental pour être envoyé devant un jury. » Il réalise M. le Maudit en 1931, soit dix ans après la publication en 1921 d’une œuvre majeure de Sigmund Freud : Psychologie collective et analyse du moi. Dans ce livre, Freud s’appuie largement sur les travaux de Gustave Le Bon pour comprendre la Psychologie des Foules. Or, l’historien et biographe d’Hitler, Ian Kershaw rappelle qu’Hitler s’est largement inspiré des travaux de Gustave Le Bon.

Que nous dit M le Maudit des pulsions meurtrières, de la psychologie des foules et de la possibilité du crime nazi ?

Il

Face à son « jury » populaire, comment Hans Beckert, le meurtrier, se défend-il ? Comment explique-t-l ses actes ? Il se dit le pantin d’une force qui l’anime à laquelle il ne peut résister. C‘est en victime d’une névrose qu’il se présente. Il semble conscient de ce qui le pousse malgré lui à agir, ce qui distingue en principe la névrose de la psychose. Freud expliquerait cette névrose par un conflit entre les pulsions de l’inconscient qui résident dans le ça et les principes moraux intériorisés dans le surmoi. Ce dernier se forme grâce à l’éducation, aux relations familiales puis sociales car pour Freud : « la psychologie individuelle se présente dès le début comme étant en même temps, par un certain côté, une psychologie sociale ». Elle naît de l’interaction entre l’enfant et son entourage. Il serait possible de multiplier les hypothèses pour expliquer la folie meurtrière de Hans Beckert, mais l’approche de Freud conforte clairement l’une des inquiétudes fondamentales de Fritz Lang à savoir que chez chacun d’entre nous, la permanente tension entre pulsions et refoulement peut provoquer, dans des cas extrêmes, une psychopathologie. Le philosophe Alain critiquerait cet aspect de la psychanalyse freudienne en ce sens qu’elle déresponsabilise l’homme et le réduit au statut de jouet de son propre corps, de ses propres pulsions. Le Ça : dans le psychisme c’est le siège des pulsions, le ça est irrationnel sous l’emprise de la recherche du plaisir. Le Surmoi : c’est l’intériorisation inconsciente des règles, des normes, de la morale qui censure contrôle l’expression du surmoi. Le moi : c’est la conscience de soi et du monde. Il empêche la libération des pulsions.

Nous

« Le terme de civilisation désigne la totalité des œuvres et organisations dont l’institution nous éloigne de l’état animal de nos ancêtres et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et leur réglementation des relations des hommes entre eux. » (Freud)

La société rejette le plus souvent celui qui souffre de ces psychopathologies. Les individus qui la composent ne se reconnaissent pas en lui. Il n’y a pas identification. La société, c’est le groupe stable, organisé encadré par des règles et des institutions. D’une certaine façon, elle se rassure en se distinguant des "déviants" par la lecture des faits divers dans les médias de masse. On peut s’interroger sur le sens de cette fascination pour les meurtres en série ou autres crimes abominables que l’on observe encore de nos jours.

Quand le groupe est plus spontané, moins contrôlé. On parle de foule. Freud constate avec Gustave le Bon que la foule est souvent « impulsive, mobile et irritable ». Dans la foule, les individus semblent changer de comportement. Pour Gustave Le Bon « Par le fait seul qu’il fait partie d’une foule, l’homme descend donc plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation. Isolé, c’était peut-être un indi¬vidu cultivé ; en foule, c’est un instinctif, par conséquent un barbare. Il a la spontanéité, la violence, la férocité, et aussi les enthousiasmes et les héroïs¬mes des êtres primitifs (sic) . » Ainsi, dans le rejet de celui qu’ils ne reconnaissent pas, les individus constitués en foule peuvent à leur tour succomber à des pulsions criminelles, comme on peut le voir dans la scène du « tribunal » populaire. M. est sous la menace de cette vindicte. Mais précédemment dans le film, le personnage arrêté dans le bus soupçonné par la foule d’être le meurtrier d’enfants risque d’être victime d’un lynchage. On retrouve cette préoccupation dans Furie, un autre film de Fritz Lang.

Lynchage : mise à mort de quelqu’un par la foule sans jugement régulier.(origine loi de lynch-18ème s)

Eux

« l’individu abandonne son idéal du moi et l’échange contre l’idéal de la masse incarné dans le meneur » (Freud)

Avec Gustave Le Bon, Freud pense que la foule est « influençable et crédule ». Il considère que le meneur le plus efficace est celui qui incarne le mieux l’idéal de masse. C’est un Schränker, par exemple, qui répond aux aspirations de la foule en prenant la place des autorités considérées comme incapables. A noter d’ailleurs que la pègre s’empresse de se distinguer du meurtrier psychopathe : « il n’est pas des nôtres » dit la tenancière. Incapable de mettre la main sur l’assassin, le pouvoir légal perd de sa la légitimité. Le bas peuple de Berlin finit donc par substituer sa morale, sa justice à la justice officielle. Plus tard, Hitler se livrera à cette tentative d’identification à l’ensemble du peuple allemand. C’est ce que traduit le slogan : « Ein Reich, ein wolk , ein Führer ». Il s’agit alors d’assimiler une identité raciale nationale en rejetant les autres : les slaves, les juifs, les noirs, les tziganes, les asociaux. C’est-à-dire ceux qui ne sont pas des aryens conformes à un idéal de masse nazi. Pour le dire autrement : eux. Pour reprendre l’étude de Ian Kershaw, le projet totalitaire nazi consistait à « révolutionner la société pour en faire un groupe homogène », une forme de communauté nationale réunie autour de critères raciaux et de valeurs spécifiques.

Mais Ian Kershaw estime que le régime n’est pas parvenu atteindre entièrement son objectif. Il distingue, en effet, une opinion publique qu’il définit comme manipulée par Goebbels d’une opinion populaire, plus autonome, plus réfractaire ou plutôt plus indifférente aux principes du national-socialisme et à la propagande. Or il semblerait que cette opinion populaire aie persisté dans son autonomie même au temps des succès militaires nazis. Hitler n’aurait donc pas réussi à pénétrer toutes les pensées, à endoctriner tous les esprits. Pourtant.....

Le titre auquel aurait pensé Fritz Lang Les assassins sont parmi nous prend ici tout son sens. On peut l’entendre comme un rappel du fait qu’aucun d’entre nous n’est strictement à l’abri de ses pulsions. La maladie, l’effet de groupe, la pression sociale sont autant d’éléments qui peuvent expliquer sans excuser l’inexcusable. On peut l’entendre aussi comme un reflet de la montée du nazisme de ses thèses antisémites et nationalistes. Pour l’anecdote, l’acteur jouant Schränker eut une belle carrière professionnelle sous le nazisme. Présentée ainsi l’accession au pouvoir d’Hitler en Allemagne semble imaginable ailleurs, dès lors que les cadres de la société sont vacillants et que les boucs émissaires sont tout trouvés.

Opinion publique : on peut la définir comme l’expression de la manière de penser la plus répandue dans une société. C’est un ensemble d’idées, d’avis, de valeurs partagées par le plus grand nombre. C’est la raison pour laquelle, elle est parfois confondue avec l’expression de la volonté générale, le peuple, la nation ou la société civile. Légalité : caractère d’un acte ou d’un fait conforme à la loi (Encyclopedia universalis)

Légitimité : caractère d’un pouvoir tel que reconnu par ceux sur qui il s’exerce. Caractère d’un acte tel qu’accepté par un groupe.

Propagande : action systématique exercée par les pouvoirs publics sur l’opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines, notamment dans le domaine politique ou social (Larousse)

Bibliographie :

FREUD S., Psychologie collective et analyse du moi, traduit de l’Allemand par S. Jankélévitch , 1921, réédition Payot, 1968.

KERSHAW I., L’opinion publique sous le nazisme, Biblis-CNRS 1995, 1983.

LE BON G. , Psychologie des foules, Alcan,‎ 1895 ( cité par S. FREUD)

M. Nérée

Article tiré du site : http://ubiwiki.free.fr
Rubrique:  La culture e[s]t le pouvoir