Ubiwiki

>> Le coffre à outils technologiques et pédagogiquesdes enseignants de la formation professionnelle du Québec

>>CLAUDE AUGE, le père gersois du « Petit Larousse »

2 février 2013
Auteur(e) : 

« [...] Mais le Grand Larousse me tenait lieu de tout : j’en prenais un tome au hasard, derrière le bureau, sur l’avant dernier rayon, A-Bello, Belloc-ch ou Ci-D, Mele-Po ou Pr-Z (ces associations de syllabes étaient devenues des noms propres qui désignaient les secteurs du savoir universel : il y avait la région Ci-D, la région Pr-Z, avec leur faune et leur flore, leurs villes, leurs grands hommes et leurs batailles) ; je le déposais péniblement sur le sous-main de mon grand-père, je l’ouvrais, j’y dénichais les vrais oiseaux, j’y faisais la chasse aux vrais papillons posés sur de vraies fleurs. Hommes et bêtes étaient là, en personne : les gravures, c’étaient leur corps, le texte, c’était leur âme, leur essence singulière [...] »

Jean-Paul Sartre, Les mots, 1964

[Planche Papillons - Larousse pour tous] ou [Planche Papillons - Adolphe Millot - Le Petit Larousse Illustré-1ère ed. 1905]

Aujourd’hui encore, en dépit des ressources numériques, le "Larousse" reste, comme chez Sartre, la référence dans de nombreuses situations. Sait-on cependant que c’est un gersois, Claude Augé, qui est à l’origine de l’organisation qu’on lui connaît maintenant ? De l’Isle-Jourdain à Paris, le parcours d’un gersois à la carrière exceptionnelle.

Quelles sont les origines de Claude Augé ?

Claude Augé naît à l’Isle Jourdain, le 31 octobre 1854, d’une mère couturière et d’un père facteur rural. Ses capacités et le sérieux de son travail lui permettent de suivre l’enseignement dispensé par l’Institution Colbert dirigée par son oncle Simon Dubarry. En 1869, à l’issue de sa formation, il obtient le brevet élémentaire et le brevet d’études primaires supérieures. Ce dernier diplôme lui donne accès à une carrière d’instituteur. Claude Augé débute donc en enseignant. Il élabore, alors à l’épreuve des élèves, sa propre pédagogie.

Comment Claude Augé devient-il responsable de la maison Larousse ?

Il rencontre dans des circonstances encore peu connues Laurence Jury, petite nièce de Pierre Larousse (1817-1875). Ils se marient le 9 juin 1880 et c’est son beau-frère Georges Moreau, neveu d’un des cofondateurs de la librairie Larousse, qui recommande Claude Augé auprès de la maison d’édition. Il s’installe donc à Paris où il débute comme comptable en 1884. Son ascension est très rapide puisqu’en 1885 il devient rédacteur puis chef de rédaction.

Comment Claude Augé a-t-il constitué l’œuvre colossale associée à son nom ?

Claude Augé est d’abord un auteur. Excellent musicien, il compose et compile des partitions destinées à l’apprentissage de la musique et au répertoire des sociétés de musique. Dans le domaine de la grammaire, son expérience d’enseignant lui permet d’adapter ses cours au public visé. Claude Augé sait également s’entourer. Il s’associe à Maxime Petit pour rédiger les manuels d’Histoire. Les articles des dictionnaires sont confiés à une équipe de rédacteurs compétents et efficaces. De même, lorsqu’ en 1890 les éditions Larousse décident que le pissenlit, ancien symbole de la maison (1865) doit être associé à la figure d’une semeuse pour mieux exprimer la devise "je sème à tout vent", le projet est confié à un dessinateur suisse promis à un bel avenir : Eugène Grasset. Claude Augé n’est donc pas qu’un auteur, c’est aussi un organisateur capable de repérer et d’associer les talents.

Claude Augé et l’école de la République.

[Couverture : Grammaire Cours élémentaire-Claude Augé]

Les « Grammaires » de Claude Augé connurent un grand succès et se vendirent à des millions d’exemplaires, certaines comme celle-ci firent l’objet de contrefaçons à l’étranger. "[...] un livre d’enseignement doit contenir tout ce que le public auquel il s’adresse peut comprendre, mais rien de plus." Les Chants de l’Enfance

Les ouvrages publiés sous la direction de Claude Augé bénéficient-ils de la politique scolaire de la troisième République ?

Les lois Guizot (1833) puis Falloux (1850) ne font qu’obliger les communes de plus de 500 habitants à financer le fonctionnement d’une école primaire de garçons puis de filles. Les lois Ferry (1881-1882), en revanche rendent désormais l’école gratuite, laïque et obligatoire. La demande de matériel pédagogique devient donc forte. Dans certains cas, ce sont les communes qui fournissent les manuels. Ces efforts en matière d’instruction sont récompensés par une baisse de la proportion d’illettrés. Celle-ci se stabilise autour de 4% d’une classe d’âge au début du siècle. Les publications de la maison Larousse accompagnent donc les efforts réalisés en matière d’éducation. Elles profitent par ailleurs du développement du lectorat. Ainsi, le "Cours de Grammaire", est publié à des millions d’exemplaires entre 1890 et 1895. Le "Cours complet de Grammaire Française" publié en 1908 est lui vendu à cinq millions d’exemplaires.

Sur le plan pédagogique Claude Augé est-il novateur ?

Dans toutes ses publications Claude Augé souhaite plus que tout adapter les livres à leur public. N’écrit-il pas dans la préface du Livre de Musique : "[...] il y avait place pour un livre contenant tout ce qu’il faut savoir, mais rien de plus, et pouvant conduire le débutant par une marche graduée mais sûre, du principe à l’application, de la théorie à la pratique." Il n’est cependant pas le premier à adopter ce principe. D’autres avant lui, et notamment son grand prédécesseur, Pierre Larousse s’en étaient fait une obligation. On note également dans les Cours de grammaire (1890-1895) puis dans les Cours complets de Grammaire Française (1908), le souci de Claude Augé de produire un enseignement progressif. Cette problématique est à cette époque au cœur des débats entre pédagogues sur les programmes scolaires. Les uns comme Octave Gréard, souhaitent des programmes dits concentriques, où le retour des notions d’un niveau à l’autre permet aux élèves de les approfondir sans les oublier au fur et à mesure. C’est l’esprit qui domine les programmes jusqu’aux années 1880. D’autres comme Paul Lapie souhaitent que les programmes de primaire soient progressifs afin de ne pas donner aux enfants l’impression de rabâcher. Il impose d’ailleurs cette conception à partir de 1887, en Grammaire, en Calcul et plus tard en Histoire.

[Halle aux Grains-Archives-dessins Larousse]

La volonté de rendre les apprentissages plus efficaces passe également par le recours à différents procédés grâce au développement des techniques d’impression. Par exemple, Claude Augé est très attaché à l’usage d’illustrations dans les dictionnaires. Certaines d’entre elles font d’ailleurs référence à son environnement personnel. C’est sa première habitation de L’Isle-Jourdain qui illustre l’article « hôtel particulier ». Plusieurs paysages de cette commune servent de décors à la description des différents types d’éclairs. Il y a là un louable effort de pédagogie mais Claude Augé, n’est pas le premier à le faire pour ce type d’ouvrage. C’est Dupiney de Vorepierre, auteur d’un Dictionnaire français illustré en 1864 qui est précurseur dans ce domaine. De plus, les premières illustrations font leur apparition dans les dictionnaires Larousse dès 1879. Enfin, pour mettre en avant l’essentiel à retenir, Claude Augé n’hésite pas à recourir à des moyens typographiques particuliers. Par exemple, les notions les plus importantes sont distinguées en gras. Au final, on constate que Claude Augé innove peu mais qu’il sait rassembler les moyens facilitant la compréhension et la mémorisation. Par ailleurs, son travail et celui de son équipe répond pour beaucoup aux attentes officielles tout en satisfaisant celles des maîtres.

Claude Augé et le programme idéologique de la troisième République.

[Carte postale Bataillons scolaires] ou [illustration du défilé du régiment- Le livre de Musique]

Claude Augé sert-il le discours politique de la troisième République ?

Pierre Larousse était démocrate et laïque et ses convictions transparaissaient souvent dans ses textes. Claude Augé, lui, ne veut pas faire œuvre de militant ou de polémiste. Conforme au positivisme dominant dans les milieux intellectuels républicains de l’époque, il aspire à une présentation objective et scientifique des réalités. Son discours n’est cependant pas neutre pour autant....

Entretient-il le patriotisme de revanche à la défaite face aux prussiens en 1871 ?

[Allegro militaire, la Lyre de France (1ère éd. : 1896), et Le Livre de Musique (1ère éd. : 1889), Paroles : Georges Haurigot, Musique : Claude Augé]

Ce texte publié dans la Lyre de France s’intègre bien dans l’ambiance de patriotisme militaire entretenue par la troisième République dans les années 1880. C’est l’époque où Paul Bert, ministre de l’Instruction publique (1881-1882) nomme le nationaliste Paul Déroulède à la commission de l’éducation militaire. Claude Augé qui avait 16 ans au moment de la guerre franco-prussienne ne semble pas insensible à cette mobilisation des consciences. Jeune instituteur, il organise comme ses collègues dans les autres écoles du Gers et de France, des bataillons scolaires où on apprend à marcher au pas armé de fusils factices. Il compose même pour les besoins de cet exercice une petite marche militaire enfantine. Plus tard, il publie dans le recueil Les chants de l’enfance des chants patriotiques. Il faut dire que le culte de la patrie est perçu à l’époque par des hommes d’influence comme Paul Bert ou Ernest Lavisse comme un moyen de souder les français autour de la jeune république encore contestée. L’Histoire de France alors enseignée est construite autour des figures censées avoir donné naissance à la nation française (Vercingétorix ou Clovis). Les manuels d’Histoire publiés par Claude Augé et Maxime Petit (Cours d’Histoire Illustrée 1891-1895 ; Histoire de France-1894) n’échappent pas à cette tendance.

[Couverture ou planches du Livre Préparatoire d’Histoire de France, traduit en Malgache par RAZAFIMAHEFA-début du 20ème siècle]

Et aujourd’hui ?

Travailleur et rigoureux, Claude Augé a donc contribué en agrégeant idées et talents à assoir le succès national de la maison Larousse. Son titre « phare », Le Petit Larousse Illustré, continue d’être publié chaque année depuis 1905. A L’Isle-Jourdain, la présence de Claude Augé est encore forte. La cloche qu’il offrit à la ville est exposée dans le musée campanaire. En face de ce dernier, s’élève la maison qu’il fit construire en 1903. Elle abrite aujourd’hui sous le nom de Maison Claude Augé, une remarquable collection qui témoigne de l’importance de son œuvre.

Auteur :

Manuel Nérée

Remerciements :

Cette présentation est une synthèse des travaux de Charles Villas, Jean Castan et Georges Laborie. Elle n’aurait pu être complétée sans l’accompagnement bienveillant de messieurs Claude Ariès et Jean-Claude Baurens. Merci aussi aux responsables du Musée de l’Ecole Publique de Saint-Clar

Article tiré du site : http://ubiwiki.free.fr
Rubrique:  Contact