Ubiwiki

>> Le coffre à outils technologiques et pédagogiquesdes enseignants de la formation professionnelle du Québec

Vous êtes ici : Accueil » Littérature et sociétés

>>La catastrophe du 12 janvier 2010 : une société face à un risque majeur. Un éclairage contemporain et scientifique sur une question qui préoccupait déjà Rousseau et Voltaire

22 mars 2011
Auteur(e) : 

En 1755, un terrible tremblement de terre suivi d’un raz de marée et d’un incendie touchait Lisbonne et faisait près de 60 000 victimes. Le 12 janvier 2010, le séisme de magnitude 7.2 sur l’échelle de Richter faisait 316.000 victimes. En 1755, le jésuite Gabriel Malagrida disait que le tremblement de terre était une punition divine. En 2010, le télévangéliste américain Pat Robertson affirmait dans le même ordre d’idée que les haïtiens étaient punis pour avoir passé « un pacte avec le diable ». Aujourd’hui, la raison et la science ont progressé. Cette dernière explique l’origine des séismes mais la polémique qui opposa Voltaire et Rousseau au 18ème siècle à quand même des échos dans la tragédie que vivent aujourd’hui les haïtiens et les japonais.

Quelles sont les causes d’une telle catastrophe ? Comment expliquer ce bilan dramatique ?

I C’est une catastrophe au bilan dramatique ...

« (Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses, Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés, Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ; Cent mille infortunés que la terre dévore, Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore, Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours !) » Voltaire ,1756

Le 12 janvier 2010, le séisme annoncé par le géologue Patrick Charles est passé d’un état virtuel (risque) à un état factuel (catastrophe). Le bilan en est accablant.

a) Car les victimes sont extrêmement nombreuses...

Longtemps estimé à 250 000, le nombre de victimes du tremblement de terre a récemment été réévalué par le gouvernement et porté à 316000. La catastrophe a également fait 350000 blessés. A ces victimes immédiates du séisme, il faut ajouter désormais les décès dus au choléra. Le dernier bilan officiel fait état de 4672 victimes (mars 2011) pour une épidémie déclenchée en novembre.

b) ...et les dégâts matériels sont considérables.

Au total, la catastrophe aurait fait 7,8 milliards de dollars de dégâts. L’Etat Haïtien et les organismes internationaux de secours ont été confrontés à près de 13 millions de m3 de décombres (seuls 3 millions ont été enlevés). Les villes sont en partie détruites. C’est le cas à 90 % de Léogâne, ville située à l’ouest de Port-au-Prince. De nombreux logements ontnt disparu. On compte entre 400 000 et 800000 réfugiés dans les différents camps.

Par ailleurs, c’est le fonctionnement de l’Etat Haïtien, un temps paralysé par la catastrophe qui est aujourd’hui encore perturbé. En effet, 17 % des fonctionnaires du pays ont péri.

II ....parce qu’une société vulnérable a subi un phénomène naturel majeur.

« (Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants Sur le sein maternel écrasés et sanglants ? ) » Voltaire, 1756

a) Elle était exposée à un aléa.

Par aléa, on désigne un événement d’origine naturelle qui a de forte probabilité de se produire sur un espace donné. Peu d’aléas sont d’origine strictement naturelle. C’est le cas cependant des tremblements de terre. Ceux-ci sont liés aux mouvements de l’écorce terrestre. La partie externe du manteau et la croûte terrestre forme ce qu’on appelle la lithosphère. La lithosphère est fragmentée en plaques. Ces fragments, selon la théorie de la tectonique des plaques, dérivent tels des radeaux sur l’asthénosphère. Elles peuvent converger l’une vers l’autre (convergence). On peut, alors, assister à une collision ou à des processus de subduction ou d’obduction (rare). Elles peuvent également diverger (divergence). Ce mouvement est à l’origine des rifts sur les continents et de dorsales dans les océans. Les plaques peuvent coulisser les unes par rapport aux autres comme au niveau de la faille de San-Andréa en Californie. C’est un peu le cas également à Haïti ou une faille « secondaire », la faille Enriquillo, a accumulé des quantités énormes d’énergie. Elle a fini par décrocher, comme le montre cette animation

L’une des raisons pour lesquelles le séisme fut particulièrement destructeur réside dans la proximité de l’épicentre, à quelques kilomètres seulement à l’ouest-sud-ouest de Port-au-Prince.

Epicentre : point à la surface situé à la verticale du foyer. L’intensité de la secousse y est maximale.

Magnitude : énergie dissipée par un séisme.

Séisme : vibration provoquée par un ébranlement en un point de l’écorce terrestre appelé foyer ou hypocentre.

Faille : cassure dans l’écorce terrestre.

b) Elle était vulnérable.

« (Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre, et peut-être nul.) » Rousseau, 1756.

On désigne par enjeux tout ce qui risque de subir des préjudices en cas de survenue d’un aléa. Il s’agit des hommes et des femmes (enjeux humains, l’agglomération de Port-au-Prince comptait 2300000 habitants avant la catastrophe), des biens (enjeux socioéconomiques coût important des dégâts matériels) et des milieux (enjeux environnementaux).

La vulnérabilité désigne les dommages que peut occasionner un aléa sur des enjeux. La vulnérabilité est augmentée à Haïti par différents facteurs.

La comparaison de la carte de Véronique Verdeil qui travaille sur l’accès à l’eau en Haïti et la celle des dommages établie par l’Agence Spatiale Européenne est, à ce titre, intéressante :

Carte 1 (p16)

Carte 2

Le premier facteur est lié aux fortes densités de population et à la concentration de l’habitat. Le deuxième est lié au sous-développement et à ses manifestations. On constate que le pays était mal préparé même s’il connaissait l’existence du risque. Ainsi à Port au-Prince, 86% de la population vivaient dans des bidonvilles. Ces quartiers constitués d’un habitat précaire, certes léger à l’origine mais progressivement consolidé, n’étaient en aucun cas préparés face à un tel danger. D’ailleurs le pays n’avait pas adopté des règlements de construction déterminés par ce risque. Par exemple, la forte quantité de poussière dégagée au moment du séisme est probablement liée au faible usage de béton armée dans les constructions compte tenu du coût des matériaux. Le sous-développement d’Haïti explique donc les faibles capacités du pays à faire face au séisme avec des moyens efficaces de protection passive et de mitigation. L’information et la surveillance ne sont pas inexistants comme en témoignent les propos de Patrick Charles recueillis dans le journal haïtien « Le Matin ». Mais Haïti n’a pas les capacités du Japon en matière de prévention. Le bilan humain risque d’être inférieur au Japon même si la magnitude du séisme fut plus grande (8.9 notez cependant que l’épicentre était situé à une centaine de kilomètre du littoral habité). Malgré l’aide internationale, la situation du pays un an après la catastrophe montre que sa capacité à se reconstruire (capacité de résilience) est faible. Ceci confirme bien sa grande vulnérabilité.

Vulnérabilité : mesure les conséquences d’un phénomène potentiellement catastrophique pour des enjeux. Elle dépend donc des capacités de résistance et de résilience de la société.

Risque : le risque naturel résulte de la conjonction sur un territoire donné d’un aléa et d’une vulnérabilité. On ne parle donc pas de risque là où il n’y a pas de société. « (Vous auriez voulu, et qui ne l’eût pas voulu ! que le tremblement se fût fait au fond d’un désert.) » Rousseau, 1756. Protection passive : il s’agit d’essayer de protéger les enjeux exposés.

Mitigation : fait d’atténuer les effets des aléas

Résilience : capacité d’un système à se reconstituer à la suite d’une perturbation de son état.

Protection active : elle est destinée à empêcher qu’un aléa survienne (impossible en matière de séismes). Conclusion : En 1756, les deux philosophes ne tiraient pas les mêmes conclusions du tremblement de terre de Lisbonne. Pour Voltaire, devenu pessimiste, elle montrait que décidément tout n’allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles (Pangloss dans Candide -1759) contrairement à ce que laissaient entendre Pope et Leibniz. Rousseau affirmait, lui, que la catastrophe était un « Mal nécessaire » dans le monde crée malgré tout pour le meilleur par Dieu. Sa vision du monde restait résolument optimiste. Mais aujourd’hui nul besoin de la Providence ou de la Malédiction pour expliquer le malheur des haïtiens. Un aléa sismique dont l’épicentre se trouvait à proximité d’une région très peuplée a frappé une société rendue plus vulnérable par le sous-développement.

Auteur : Manuel Nérée

Bibliographie :

VERGNOLLE-MAINAR C. et DESAILLY B., Environnement et sociétés : territoires, risques, développement,éducation, Focus, collection scientifique, scérén-crdp midi-pyrénées, 2005.

GEORGE P., VERGER F., Dictionnaire de la géographie, PUF, 2004.

ESQUIROL-PAQUEROT S., PAQUEROT T., Les risques naturels en Haïti, cahier virtuel, 2009 9 ?, http://educationenv.ac-dijon.fr/productions/haiti/index.html. Haïti, survivre et reconstruire, Radio-Canada, http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2010/01/13/012-seisme-geologie.shtml

PERRIN C., biologieenflash, http://www.biologieenflash.net/sommaire.html

JARRAUD F., Séisme en Haïti, http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/pages/seisme_haiti.aspx

VERDEIL V., De l’eau pour les pauvres à Port-au-Prince, Haïti, Mappemonde, 1999.

DUBOIS-MAURY J., Les risques naturels et technologiques, Problèmes politiques et sociaux, La documentation Français, n° 908, janvier 2005.

Les risques majeurs, tdc, n° 824, novembre 2001.


 

Site développé sous SPIP 1.8.3
Utilise le squelette RÉCIT-FP Partenaires v1.3.5
RSS